Lucidno
Mercenaire
Film MERCENAIRE
Réalisateur : Wolff, Sacha. Claire Bodechon: 3B Productions, 2016, France. Rôles interprétés par: Toki Pilioko, Laurent Pakihivatau, lliana Zabeth. Langues: le français et le wallisien. Prix: Label Europa Cinéma à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes 2016, le Valois de la Mise en Scène au Festival du Film Francophone d'Angoulême 2016, le Prix du Public au Festival du Film de la Foa 2016 en Nouvelle Calédonie, sélectionné au Festival international du film de La Rochelle. Dans son premier long métrage, Sacha Wolff raconte l'histoire de Soane (Toki Piliok), jeune rugbyman wallisien (Les Îles Wallis-et-Futuna, collectivité française d'outre mer) recruté par un club de la métropole. Le titre du film, Mercenaire, fait référence à un soldat rémunéré par un gouvernement étranger accomplissant une mission pour de l'argent et non par conviction. Cependant, Soane n'est pas étranger : « Je suis français », explique-t-il à sa nouvelle copine. Invité à la chaîne de télévision France 2 (le 2 octobre 2016), S. Wolff affirme avoir noté dans le milieu du rugby le phénomène de déracinement touchant un nombre de joueurs français provenant des autres parties du monde. Tout en étant français, ces jeunes sportifs sont vus comme étrangers par certains gens dont le regard est souvent empreint des représentations de la civilisation occidentale. C'est ce regard que Soane va essayer de changer. La lecture de Mercenaire s'inscrirait ainsi dans les études postcoloniales dont nous citons quelques unes des notions clés: le déracinement, l'identité française, la perception de cette identité dans différents contextes socioculturels. Pour le réalisateur, ces sujets ouvrent de nouveaux champs de recherche dans la cinématographie française. L'inspiration pour ce film Wolff a eu suite à la rencontre avec Laurent Pakihivatau, un joueur de rugby à Lyon (interprétant le rôle d'Abraham, agent sans pitié qui recrute les joueurs wallisiens). Il lui a raconté les défis qu'il fallait soulever et les obstacles à surmonter dès son arrivée dans la métropole. Le rugby étant très populaire en Océanie, ces jeunes joueurs font équipe et constituent des piliers de nombreux clubs en métropole. C'est à partir de cette rencontre que le réalisateur s'est rendu compte que tout un aspect d'identité française était fort oublié. Soane veut partir jouer pour un club de rugby en France métropolitaine. Son parcours n'est pas simple depuis le départ de Nouméa. Il subit la violence de son père Leone (Petelo Sealeu) qui s'oppose farouchement à son projet, mais il sait que rien ne brisera sa volonté de partir. Chassé brutalement de la maison paternelle, Soane doit confier son destin à un agent qui l'abandonne dès son arrivée en métropole tout simplement parce qu'il a perdu du poids et le club ne voulait plus de lui. Heureusement, le jeune a tout par hasard un numéro de téléphone. C'est Sosefo (Mikaele Tuugahala), joueur de rugby lui-aussi, qui l'aidera à trouver un autre club. Même là, la précarité déterminera les conditions de vie et les relations humaines. Venant de loin, il sera harcelé de la part de certains de ses coéquipiers en raison de ses origines, de son accent, son allure physique, sa façon d'être. Plus tard, il sentira sur sa peau la brutalité de son ancien agent essayent de lui faire des chantages. Une fois de plus, ce pilier du terrain de rugby, ce jeune homme robuste et déterminé, subit l'injustice et en éprouve une énorme souffrance. Cependant, une autre réalité le définit en tant qu'être humain. C'est l'amour de sa mère et de son jeune frère, victimes eux aussi du tempérament du père. Il y a également le souvenir de l'océan, du ciel, des nuages, de sa Nouméa. Sa capacité d'aimer va ouvrir son cœur à Coralie (lliana Zabeth). C'est l'être humain et son essentiel qu'il voit en elle. C'est ce qui compte pour lui à tel point qu'il veut tout de suite lier son destin au sien. Dans ses relations personnelles, il fait preuve d'une tendresse touchante. Les deux réalités citées ci-dessus vont s'opposer, se heurter et créer en lui une forte réaction. Dans ce milieu de rugby très hostile, c'est lui, Soane Tokelau, qui va lutter sans répit contre tous ceux qui essaient de l'empêcher de réaliser ses rêves ou d'opprimer les personnes à qui il tient. Cela le poussera à puiser dans sa force mentale et physique afin de s'affirmer sur le terrain de sport et réussir un transfert sportif très avantageux. Par la suite, il écartera de son chemin l'ex agent, empêchera les chantages des dirigeants de son premier club et finalement, de manière définitive, rompra les liens avec son père. La caméra cadrée sur le visage de Soane, nous vivons le cœur serré les émotions de ce héros qui incarne la douleur de tous ceux qui souffrent sous le joug de l'injustice. |
Il est pleinement conscient que sa souffrance vient du manque de l'amour paternel, de préjugés, de la déshumanisation des relations humaines, mais il est déterminé d'agir pour changer cette situation. C'est à partir du moment où il décide de quitter la maison paternelle, en s'opposant à la volonté irraisonnée de son père, qu'il va commencer son combat. Il part à la recherche de sa place dans le monde. En luttant pour le bien-être de son frère, de sa mère, de Coralie, pour son club, il va rendre ce monde plus juste pour lui et pour les gens dans son entourage. À la fin, il revient à Nouméa et c'est dans son pays natal qu'il va retrouver son équilibre mental qui lui permettra d'agir dans son propre univers afin de le rendre plus à la mesure de l'homme. Ce microcosme empreint d'une sorte d'harmonie universelle symbolise un petit fragment dans le macrocosme du monde humain. Ce fragment devient partie de l'humanité, ses vibrations se propagent tous azimuts et influencent d'autres univers personnels. Soane revendique sans compromis ses droits de l'homme, ses aspirations vers le bonheur, vers le progrès, en puisant sa force dans son altruisme, dans ce qu'il porte en soi comme l'héritage de l'humanité issu d'un contexte socioculturel précis. C'est à des acteurs non-professionnels que la plupart des rôles dans ce film sont attribués. Précisions tout de même que dans la vie réelle, l'expérience personnelle de Toki Pilioko, acteur principal et joueur de rugby, est plutôt positive. En quittant Wallis-et-Futuna pour venir en France métropolitaine, il n'a pas vécu le même drame qu'il présentera en interprétant le personnage de Soane. Beaucoup de scènes sont tournées dans le cadre réel d'un club de rugby ce qui a permis au réalisateur de garder, en partie, la technique de tournage de ses documentaires. S. Wolff privilégie les gros plans sur le visage de Soane par lesquels il souligne son expressivité et les émotions que le protagoniste vit tout au long de cette histoire. Outre cela, les plans d'ensemble jouent un rôle important dans la représentation des liens affectifs qu'il a avec son pays natal. Au début, un magnifique plan d'ensemble sur le paysage polynésien que Soane est en train de quitter souligne son attachement à ce pays, sa solitude, l'immensité des sentiments que cette image lui inspire. À la fin, dans un dernier plan moyen, c'est un site naturel fabuleux, entre les traditions, les mythes et la modernité, entre un monde qui disparaît et un autre qui va s'épanouir, Soane est de retour, il est au centre de ce paysage où il affirme pleinement son identité et sa force de l'homme qui agit afin d'humaniser le monde partout où il va. Références Programme télévisé Dugois, Julien. Mercenaire, un film de Sacha Wolff: critique, le 19 août 2016. Site visité le 17 janvier 2017. URL: https://www.cineseries-mag.fr/mercenaire-un-film-de-sacha-wolff-critique-72089/. Vidéos sur YouTube Film, vidéo Sonja Špadijer This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it. |