Lucidno
«La Croisade», conte souriant pour temps de catastrophe
Le film de Louis Garrel trouve le juste ton pour évoquer en finesse la révolte d'une génération contre la destruction de la planète.
Joseph (Joseph Engel) et un ami, en route vers un projet hors norme. | Ad Vitam
Un couple de bourgeois parisiens dépouillé par leur propre fils d'une douzaine d'années, c'est le point de départ de cette comédie familiale aux tonalités très singulières. Joseph a vendu les robes chics de sa maman (Laetitia Casta) et les montres ridiculement chères de papa (Louis Garrel). Papa et maman ont beau être des parents modernes, ouverts, cool, ils ne sont pas contents. Pas du tout.
Mais Joseph n'en tient aucun compte. C'est qu'il a un plan, un plan secret, ambitieux, aussi urgent que difficile à mettre en œuvre. Et il n'est pas le seul.
Ainsi démarre cette aventure souriante et vive, qui a l'immense mérite de chercher, et le plus souvent de trouver un ton léger pour parler du plus grave des problèmes actuels, du plus communément partagé, mais trop souvent pour l'évacuer ou le marginaliser: la tragédie environnementale en train d'anéantir des milliers d'espèces et de menacer toutes les formes de vie à la surface de la Terre.
Le titre évoque bien sûr la Croisade des enfants historique, et ce sont bien, là aussi, des gamins qui se mobilisent pour transformer en profondeur les comportements et modifier la situation climatique.
Quelques mois avant Greta
Jean-Claude Carrière en avait soufflé l'idée à Louis Garrel quelques mois avant que Greta Thunberg ne vienne incarner cette insurrection pacifique d'une jeune génération moins aveugle et moins hypocrite que les plus âgées. Dans le film, les enfants ne se contentent pas de protester, ils passent aux actes.
La Croisade enchaîne les péripéties qui mêlent aventures des ados, embardées vers le conte et le fantastique, et moments d'alerte plus réalistes quant à la proximité de menaces que le Covid s'est chargé, depuis le tournage du film, de rendre parfaitement crédibles.
Avec une bonne dose d'autodérision envers celui qu'il interprète à l'écran et aussi de ce dont il est une figure connue, et avec une forme d'affection respectueuse pour les personnages les plus jeunes, Louis Garrel trouve pour son troisième long métrage comme réalisateur le juste ton, celui d'une modestie stylistique qui renforce la pertinence de sa proposition.
D'autres chemins
Ce parti pris de la petite forme, de la brièveté (1h06), du clin d'œil et du refus de toute emphase fera aisément passer La Croisade pour une œuvre mineure. C'est mal voir qu'elle explore au contraire de manière audacieuse d'autres chemins que le pamphlet militant ou la prophétie catastrophiste.
De ces régimes de récit aujourd'hui dominants sur les questions climatiques, on ne voit que trop bien les limites en ce qui concerne la capacité à mobiliser, ou simplement à faire évoluer tant soit peu les esprits et les comportements.
Il est nécessaire, voire vital, de trouver autre chose, d'autres manières de raconter et de montrer. Sans se pousser du col ni prétendre avoir trouvé une formule magique, cette fable gaie à propos d'une réalité sinistre est ainsi exemplaire de ce qu'un cinéaste est susceptible d'essayer, dans et avec un monde qui est le sien, et celui de tous.
Jean-Michel Frodon
first published in:
www.slate.fr/story/220929/la-croisade-conte-souriant-pour-temps-de-catastrophe-louis-garrel