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    «Réparer les vivants»/«Snowden»: sous les sentiments, la puissance d'une image

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    Le film d'Oliver Stone sur le lanceur d'alerte américain et l'adaptation du roman de Maylis de Kerangual font tous deux le choix de la sentimentalité pour affronter des matériaux plus grands qu'eux. Pourtant, ici et là, une image surgit.

    Deux films à «grand sujet» sortent cette semaine sur les écrans français. Snowden, d'Oliver Stone, est consacré à la surveillance intrusive par les services secrets américains et à la question des lanceurs d'alerte. Réparer les vivants de Katell Quillévéré, aux conditions, techniques et affectives, du don d'organes.

    Ces deux films ont aussi en commun d'arriver dans une position inévitablement «secondaire». Non seulement l'affaire Snowden est une des plus médiatisées et des plus commentées des dix dernières années, dans le monde entier, mais le cinéma a déjà joué un rôle exceptionnel dans la révélation de cette affaire.

    C'est devant la caméra de la documentariste indépendante Laura Poitras que l'ancien contractant de la NSA a choisi de révéler ce qu'il avait découvert et d'expliquer ses motivations aux côtés du journaliste du Guardian Glenn Greenwald. Il en est résulté un film remarquable, Citizen Four, qui a été un succès public et a reçu l'Oscar du meilleur documentaire.

    Regain d'attractivité

    À moindre échelle, la situation de Réparer les vivants est comparable. Il s'agit cette fois de l'adaptation d'un roman. Mais le livre, nourri d'informations factuelles très documentées sur les milieux et les pratiques qu'il évoque comme il est d'usage chez Maylis de Kerangal, a connu un tel succès –moisson de prix, 250.000 exemplaires vendus, une transposition très médiatisée au théâtre, avec notamment un accueil triomphal à Avignon– que le film arrive en terrain déjà très connu.

    Dans les deux cas, la réalisation d'un film de fiction, avec vedettes et volonté d'atteindre un large public, suppose donc un parti pris singulier, qui, tout en restant fidèle au «matériau» de départ et aux enjeux qu'ils mobilisent, apporte à la fois un supplément, et une attractivité renouvelée pour des histoires connues, y compris dans leur dénouement.

    Une puissance sensorielle, intuitive, à la fois intensifiée par ce qu'elle montre de matériel et chargée d'une puissance qui excède ce qui est montré

    Les deux réalisateurs sont également coscénaristes de leur film, Katell Killévéré avec Gilles Taurand, qui a écrit ou coécrit une part mémorable du cinéma français des vingt dernières années, aux côtés notamment d'André Téchiné, Benoit Jacquot ou Robert Guédiguian, Oliver Stone avec Kieran Fitzgerald (dans ce cas, c'est Stone le vétéran du tandem).

    La fibre sentimentale

    Les deux équipes de scénario ont adopté exactement le même parti-pris. De manière pas très étonnante, ou pas très courageuse, dans l'un et l'autre cas, le choix a été d'investir à fond sur l'aspect sentimental de l'histoire. C'est ainsi que la relation amoureuse d'Edgar Snowden avec sa compagne Lindsay devient un ressort dramatique majeur dans un film qui décrit un des problèmes de politique mondiale les plus graves du temps présent.

    Et c'est ainsi que le parcours émotionnel des parents du jeune homme dont les organes seront partagés entre des malades occupe une place bien plus importante que dans le livre, dont la réussite tenait surtout à la manière passionnante dont il racontait les procédures, les difficultés et les logiques des équipes médicales.

    Sans évacuer la complexité des réalités auxquelles ils se réfèrent, les deux films en font un environnement, schématique chez Katell Quillévéré, structuré par l'imaginaire des films d'action chez Oliver Stone.

    Pourtant, même formaté par cette surenchère émotionnelle, le cinéma ne perd pas tous ses pouvoirs dans le cas de ces deux films. À chaque fois, surgit au moins une image qui, malgré tout ce qu'on sait déjà, et malgré les partis pris de narration, conserve une puissance sensorielle, intuitive, à la fois intensifiée par ce qu'elle montre de matériel et chargée d'une puissance qui excède ce qui est montré, et que l'écriture ou toute autre forme de récit ne saurait produire.

    Les poncifs du genre

    C'est, dans Réparer les vivants, le moment où les mains du spécialiste s'emparent du cœur du jeune homme mort et l'extraient de sa cage thoracique. Maylis de Kerangal l'a –très bien– écrit, on sait qu'il va le faire, il ne se produit aucun incident particulier. Mais cette image en gros plan de mains empoignant un cœur (dont on ne doute pas une seconde qu'il s'agit d'un trucage, ce qui n'a aucune importance), cette vision-là dans sa matérialité, et bien sûr ses multiples symboliques, n'en est pas moins d'une force singulière, incomparable.

    Oliver Stone présente, lui, une variation sur son thème favori, la trahison par les États-Unis des valeurs fondatrices qu'ils revendiquent pour eux-mêmes et pour le monde, thème qui a notamment donné un de ses rares très bons films, Né un 4 Juillet. Dans Snowden, la prise de conscience par le personnage-titre de l'espionnage généralisé et illégal mis en place par la NSA et la procédure suivie pour en informer le monde au risque de sa liberté, peut-être de sa vie, suit des étapes connues.

    Elle sont balisées à la fois par les nombreuses informations dont on dispose et par les poncifs des films d'espionnage hollywoodien du genre Bourne, où c'est la machine étatique qui se révèle le pire ennemi des principes qu'elle est supposée représenter et défendre.

    Trivialité et terreur orwellienne

    Mais le moment où Edgar et Lindsay s'apprêtent à se livrer aux ébats intimes dont les responsabilités et les découvertes du jeune homme le privent depuis longtemps, mais où celui-ci réalise que la webcam de l'ordinateur pourtant éteint de sa compagne est possiblement en train de filmer leur câlin au profit de ses supérieurs synthétise d'un coup une grande partie de ce que le film cherche à faire comprendre.

    Entre trivialité quotidienne et terreur orwellienne

    Entre trivialité quotidienne et terreur orwellienne, sans ballets de véhicules banalisés, sans imagerie démultiplié à l'échelle du globe ni figures-types de pontes de la CIA ivres de pouvoir, la seule vision d'un écran de portable éteint cristallise un instant le réel, le sens et l'imaginaire avec une force qui est à nouveau celle du seul cinéma.

    Pour ces moments –ce que le critique Serge Daney appela jadis les «points de capiton» à la suite d'une formulation de Jacques Lacan, quand un film enfonce le clou de ce qui le travaille, et dépasse ainsi la seule illustration du dossier qu'il évoque ou du roman qu'il adapte, la mise en film de ces deux histoires n'aura pas été tout à fait vaine.

    Jean-Michel Frodon

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    http://www.slate.fr/story/127484/snowden-reparer-vivants-une-image

     

     

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