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    «The Dead Don't Die»,
    les morts-vivants manquent de souffle 

     

    Sur le papier, c'était le choix idéal. Ouvrir le 72e Festival de Cannes avec The Dead Don't Die ressemblait à l'improbable résolution de la complexe équation du film d'ouverture.

    Le film est signé de l'un des grands artistes du cinéma contemporain, Jim Jarmusch, qui plus est figure cannoise consacrée depuis la Caméra d'or pour Strangers than Paradise en 1984 –qui n'était en réalité pas son premier film, précédé sans qu'on le sache alors par le tout aussi étonnant Permanent Vacation.

    Sa présence sur la Croisette a été scandée par de nombreuses sélections, ô combien justifiées: Down by Law, Mystery Train, Night on Earth, Dead Man, Ghost Dog, Broken Flowers, Only Lovers Left Alive, jusqu'à ce joyau qu'était Paterson. Du très bon et du encore meilleur, récompensé de divers prix –même si l'un des plus beaux, The Limit of Control, manque à l'appel cannois.

    Mais The Dead Don't Die, c'est aussi un casting all stars, donc une belle montée des marches, ingrédient indispensable d'une ouverture réussie, avec Bill Murray, Adam Driver, Chloë Sevigny, Tilda Swinton (et Danny Glover, Tom Waits et Iggy Pop, qui ne sont pas venus).

    Ajoutons enfin cette quadrature du cercle recherchée par nombre de producteurs et de médias: un film d'un grand cinéaste mais entrant dans un genre à la mode, en l'occurrence le film de zombies.

    jarmush cannes

    Sur le papier, donc, tout semblait parfait. Sur l'écran, c'est hélas une autre affaire.

    Les acteurs, surtout Murray et Driver, déploient toutes les ressources de leur considérable talent. On retrouve avec bonheur l'élégance du filmage de Jarmusch, son humour décalé, un charme indéniable.

    D'abord, on est content d'accompagner les tribulations de ces flics d'une petite ville de l'Amérique profonde confrontée à une invasion de morts-vivants, pour cause de manipulations catastrophiques et de mensonges éhontés des industries de l'énergie et des malhonnêtes au pouvoir, déclenchant des calamités sans nom.

    On est d'accord sur l'arrière-plan politique, on déguste les touches humoristiques et les petites mises en abyme, on s'amuse à reconnaître Tom Waits en ermite barbu ou Iggy Pop en zombie cannibale accro au café. Tout cela fait de bons moments, mais pas un film.

    Embourbé dans le genre
    L'une des meilleures blagues de The Dead Don't Die est le moment où le personnage d'Adam Driver affirme qu'il a lu le scénario et qu'il sait comment le film finit: mal. Mais à ce moment, on a sérieusement commencé à douter qu'il y ait un scénario, tant le film fait du surplace, n'ayant rien à raconter de particulier au-delà de la situation installée durant la première demi-heure.

    Soyons clair: on peut faire d'excellents films avec un scénario minimal. Il y a de nombreux exemples, et beaucoup des longs-métrages de Jim Jarmusch –Permanent Vacation, Stranger than Paradise, Dead Man, The Limit of Control– en font partie. Il est de ces cinéastes qui ont prouvé que l'histoire n'est pas tout, voire même qu'elle peut être tout à fait secondaire.

    Mais ici, le film est comme colonisé par la présence envahissante des représentants du genre, ces zombies vus cent fois dans d'autres films (souvent déjà très médiocres), qui occupent l'espace narratif sans avoir un quelconque intérêt.

    Pas dupe, le réalisateur montrera la métaphore de la situation avec la voiture de ses trois personnages littéralement embourbés dans le magma des morts-vivants, leur voiture de service bloquée par les cadavres en état de décomposition plus ou moins avancée.

    Le seul personnage singulier, passé la moitié du film, est la croque-mort Tilda Swinton, combinant les caractéristiques de l'héroïne de Kill Bill et celles d'une extraterrestre d'un film de science-fiction low tech.

    Tilda Swinton vient de loin. D'Écosse, croit savoir la population de Centreville –et peut-être même d'encore plus loin. | Via Universal

    Anti-film d'ouverture
    Si low tech et slow burn sont de bons camarades, il s'avère qu'ils ne suffisent pas à tenir la durée d'un long-métrage. De même, jongler avec les références à Romero, Spielberg et Tarantino est amusant, mais loin de suffire à donner énergie et substance à un film.

    On peut –on doit, sans doute– voir The Dead Don't Die moins comme la fable sur la folie suicidaire de l'humanité qu'il fait mine d'être in extremis qu'une parabole sur l'usure de la fiction de cinéma.

    Dans cette comédie –volontairement?– déceptive, seuls les marginaux (l'hermite qui vit dans les bois et les enfants échappés du centre de redressement) survivent au massacre et à la lobotomie.

    La cause anti-spectaculaire se plaide, mais cette fois, l'avocat manque de conviction. Et sa position de film d'ouverture rend la situation encore plus inconfortable, pour le film autant que pour le public qui l'a regardé à cette place.

    D'où il résulte que, comme presque chaque année, le film d'ouverture (qui cette fois est sorti dans les salles françaises en même temps qu'il a été présenté à Cannes) ne restera pas longtemps dans les mémoires.

    Seulement, à la différence de la plupart des précédents, on ne peut qu'en éprouver de la tristesse, tant Jarmusch a auparavant offert de belles propositions. Et subsiste le soupçon que contrairement aux apparences, The Dead Don't Die était en fait un anti-film d'ouverture, mais que personne ne s'en serait vraiment avisé.

    Iggy Pop a beau être un convaincant zombie, les morts-vivants restent des êtres décidément sans grand intérêt. | Via Universal

    Programme alléchant
    Décevante, cette séance d'ouverture n'en décourage pas pour autant les espoirs que suscite cette 72e cuvée.

    On entend chaque année les mêmes se plaindre que certains réalisateurs se retrouvent régulièrement sur la Croisette. Mais, pour ne citer que des films en compétition officielle cette année, Arnaud Desplechin, Pedro Almodovar, les frères Dardenne, Quentin Tarantino, Marco Bellocchio, Bong Joon-Ho, Elia Suleiman et Xavier Dolan font partie des plus grands artistes du cinéma mondial contemporain, et il serait aberrant que le plus grand festival du monde ne les accueille pas.

    On pourra aussi découvrir les premiers longs-métrages de Mati Diop et de Ladj Ly, et si Jessica Hausner, Corneliu Poromboiu, Diao Yi'nan ou Kleber Mendonça ne sont plus des débutant·es, on ne peut leur reprocher d'avoir saturé les précédentes éditions.

    Et bien sûr, il ne s'agit ici que du saint des saints, la compétition officielle. Dans les autres sections (hors compétition, Un certain regard, Quinzaine des réalisateurs, Semaine de la critique, ACID), on retrouve aussi bien des grands noms (Alain Cavalier, Nicolas Winding Refn, Werner Herzog, Bruno Dumont, Lav Diaz, Albert Serra, Bertrand Bonello, Christophe Honoré, Abel Ferrara, Patricio Guzmán…) qu'un nombre impressionnant de cinéastes moins célèbres, et qui méritent de l'être.

    L'accueil par les zombies est resté tiède, mais le menu n'en est pas moins appétissant.

    Jean Michel Frodon
    first published in:
    www.slate.fr/culture/cannes-2019/the-dead-dont-die-jim-jarmusch 

     

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