Lucidno       

    Trisophrénie de Paranoïa

    Avec le film de Steven Soderbergh, il semble qu’on se trouve en terrain mieux balisé. Une jeune femme se dit persécutée par son ancien amoureux, a des comportements vaguement étranges, cherche un soutien dans une institution où elle se retrouve internée. Parmi les soignants, elle découvre son soupirant…

     

    Paranoïa aligne des scènes et des situations qui ressemblent à ce qu’on a vu cinquante fois dans des films d’angoisse. Mais il le fait mieux, c’est-à-dire de façon plus élégante, plus convaincante, plus stylée que l’immense majorité de ces cinquante autres occurrences.

    Pour une raison toute simple: Steven Soderbergh, quand il s’en donne la peine –souvent, pas toujours– est un excellent cinéaste. Avec ici une dette reconnue envers Alfred Hitchcock, il agence des séquences une à une convaincantes, et dont l’enchaînement suscite d’autres questions, d’autres inquiétudes, d’autres doutes que ce qui a été montré et raconté.

    Le film réussit de la sorte un rare tour de force: courir, avec succès, trois lièvres à la fois. Il est en effet un thriller psychologique tournant autour d’un personnage principal à la santé mentale instable, un film d’horreur inscrit dans un environnement réaliste, et un film de dénonciation d’une des nombreuses plaies de la société américaine en général, et de son système de santé en particulier, sous le signe de la recherche effrénée du profit.

    Soderbergh empile donc ses casquettes de réalisateur de Bubbled’Erin Brockovitch et d’Effets secondaires, exercice difficile. Paranoïa, film trisophrène, met ainsi en scène d’un même élan, sans reprendre son souffle, trois récits entrelacés.

    Il montre la manière dont des cliniques mettent le grappin sur des personnes en situation de faiblesse pour pomper toutes les ressources de leur couverture sociale. Il raconte la possessivité maladive d’un homme enfermé dans un labyrinthe mortel de miroirs lui renvoyant de terrifiantes images de lui-même. Et il rend visibles les ressorts familiaux et professionnels qui, au lieu d’aider une jeune femme confrontée à un problème, l’enfoncent dans un vertige fatal.

    Il y a souvent dans les films de Steven Soderbergh une sorte de jubilation à la composition d’un plan, à l’accompagnement par le cinéma d’une situation dramatique –on peut soupçonner par exemple le très réussi Magic Mike d’y avoir trouvé sa principale raison d’être. Et il y a, souvent, la volonté de pointer certains des nombreux dysfonctionnements de la société états-unienne.

    Qu’il en réussisse ici la fusion (un peu comme il mêlait western, film de braquage et dénonciation du système bancaire dans Logan Lucky) tient sans doute en partie au parti pris de tout tourner (ou presque) avec un téléphone portable.

    Si les conséquences en termes techniques sont difficilement repérables pour un œil non averti, la fusion des différents enjeux narratifs est renforcée par le cousinage de l'aspect visuel du film avec les images des mobiles de tout un chacun. La légèreté de la fabrication devient ainsi une sorte de potion magique pour activer les ressources d’un genre sans s’y laisser enfermer.


    Jean-Michel Frodon
    first published in www.slate.fr

    Previous-Page-Icon    03   Next-Page-Icon

    © 2010 Camera Lucida All Rights Reserved.

    Please publish modules in offcanvas position.