Lucidno        KARIM MOUSSAOUI

    Karim Moussaoui, l’«hirondelle»
    d’un renouveau du cinéma algérien?

    La sortie en salle d’«En attendant les hirondelles» de Karim Moussaoui met en évidence l’émergence d’une jeune génération de réalisateurs (et aussi de scénaristes, de producteurs, d’acteurs). Le Festival de Montpellier vient d’en réunir les principaux représentants.

    (Sur la photo, de gauche à droite: Amina Haddad, Mohamed Yargui, Amel Blidi, Sofia Djama, Lyes Salem, Karim Moussaoui, Adila Bendimerad, Damien Ounouri, Hassen Ferhani, Djamel Kerkar)

    La sortie sur les écrans français le 8 novembre d’En attendant les hirondelles est la possibilité de découvrir un très beau film. C’est aussi un signe fort d’un possible essor d’un jeune cinéma algérien. Un des principaux programmes de la 39e édition du CinéMed, le Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier, était dédié à ce phénomène.

    Un hommage particulier y était rendu à celui qui est désormais unanimement considéré comme la figure tutélaire, après avoir traversé les décennies, les pires difficultés et de terribles dangers: Merzak Allouache, 73 ans, auteur d’un des meilleurs films de son pays dans les années 1970, Omar Gatlato, signataire de l’essentiel Bab-el-Oued City en pleine guerre civile et inlassable chroniqueur des malheurs et des espoirs de son peuple (Le RepentiLes Terrasses, Madame courage).

    Bab-el-Oued City de Merzak Allouache (1994)

    Pour être complet, il aurait été juste que figurent aussi les quelques représentants de la génération suivante, notamment les deux figures importantes que sont le radical et inspiré Tariq Teguia (Rome plutôt que vous, Inland, Révolution Zendj) et le grand documentariste Malek Ben Smaïl (La Chine est encore loin,), auquel il faudrait ajouter le solitaire et talentueux Amor Akkar (La Maison jaune).

    Il reste qu’incontestablement il se passe quelque chose de l’ordre d’une émergence collective, générationnelle, dans le cinéma algérien actuel, et que c’est surtout ce que la manifestation pilotée par Christophe Leparc a souhaité éclairer. Le 25 octobre, elle a réuni la plupart des membres de ce qui y a été appelé «la jeune garde du cinéma algérien».

    S’y sont retrouvés Hassan Ferhani (Dans ma tête un rond-point), Damien Ounouri (Fidaï), Lyes Salem (L’Oranais), qui ont déjà vu leurs films distribués, également en France. Mais aussi Sofia Djama (dont le premier long, Les Bienheureux, a été présenté au Festival de Venise), Djamel Kerkar (Atlal), Adila Bendimerad, Amel Blidi, Mohamed Yargui. Et, bien sûr, Karim Moussaoui.

    Les passeurs et les points de passage

    Celui-ci n’est pas seulement une des principales figures de cette génération montante. Il est aussi un de ceux qui l’a rendue possible, avec le jeune critique Samir Ardjoum et Abdenour Hochiche, fondateur et jusqu’à l’an dernier animateur du Festival de Bejaïa, véritable creuset de cette efflorescence –tous deux présents dans la salle à Montpellier.

    Avant de devenir réalisateur, Moussaoui a longtemps été responsable du cinéma au sein de l’Institut français d’Alger. Dans un environnement hostile au cinéma et à toute forme de liberté d’expression, il en a fait un lieu de recherche et d’expérimentation, montrant les grands films contemporains du monde entier, organisant débats et ateliers, suscitant les rencontres et les essais.

    Rejoint plus tard par d’autres, Ardjoum et Ferhani notamment, il y a créé en 2000 et animé l’association Chrysalide, à l’origine surtout orientée vers le théâtre, avant que le cinéma y devienne le cœur de ses activités. Tous ceux qui se trouvaient à Montpellier le 25 octobre s’y sont rencontrés, avant de se retrouver chaque mois de septembre à Bejaïa.

     

    Assemblages complexes

    L’Institut français? Que l’ex-puissance coloniale joue un rôle important reste un enjeu mais n’est plus un obstacle majeur pour cette génération. La plupart de ses membres habitent au moins partiellement en France, et ils ont souvent trouvé dans ce pays des partenaires financiers et des techniciens pour que leurs films puissent exister, même si on a vu récemment se diversifier les soutiens, avec notamment le rôle croissant du Doha Film Institute.

    La production d’En attendant les hirondelles est exemplaire de ces parcours tortueux. Le projet est né d’un scénario écrit en 2009, il a pris forme grâce à une résidence d’écriture au Maroc, puis à un séjour de son auteur à la Cinéfondation créée par le Festival de Cannes et qui accueille pendant six mois à Paris des jeunes réalisateurs du monde entier. 

    C’est là que Moussaoui a rencontré David Thion, de la société de production française Pelleas, qui a pu monter le film en coproduction avec la jeune société du producteur algérien Djaber Debzi, Prolégomènes. Et le fonds d’aide de Doha.

    Ces assemblages complexes (dans le cas des Hirondelles il faut y ajouter un partenaire allemand) est l’indispensable réponse à la difficulté de produire en Algérie seule des films inventifs, quand n’y existe qu’un seul guichet, le FDATIC au fonctionnement opaque et aux choix «artistiques» discutables.

    Mais la coproduction internationale n’est pas une fatalité, comme l’a rappelé Damien Ounouri, qui venait de présenter l’étonnant court métrageKindil, réponse vigoureuse avec les moyens du cinéma de genre au harcèlement sexuel coutumier dans cette région du monde.

    Le film est produit et interprété par Adila Bendimerad. Elle a souligné que de nouveaux investisseurs privés sont en train d’apparaître, qui seraient susceptibles de changer la donne.

    Sa présence comme celle de Sofia Djama, d’Amel Blidi ou de la productrice Amina Hadad rappelait aussi un des aspects les plus réjouissants de la nouvelle génération du cinéma algérien, son importante composante féminine. Et il manquait au moins Narimane Mari, autre figure importante de cette constellation de talents.

    Avant Cannes, d’autres festivals auront joué un rôle important dans le parcours de Karim Moussaoui. Celui d’Angers a été une étape majeure de la conception des Hirondelles, celui de Locarno avait permis en 2013 la découverte de son moyen métrage Les Jours d’avant, à juste titre remarqué au point d’avoir les honneurs, rarissimes pour ce format, d’une distribution en salles.

    Selon un processus typique de l’émergence d’une cinématographie et d’une génération, la reconnaissance dont il a bénéficié a aidé à ouvrir la voie aussi à d’autres films et à d’autres auteurs.

    Trauma fondateur

    Les Jours d’avant était une évocation directe de ce qu’on appelle trop allusivement «les années noires», cette atroce guerre civile des années 1990 qui a fait des centaines de milliers de morts, et laissé un pays exsangue aux mains d’une armée aussi corrompue que toute puissante, et une jeunesse désespérée, ravagée par l’intégrisme et la drogue.

    Le traumatisme est fondateur de toute la nouvelle génération du cinéma algérien. Pour autant, ses représentants n’ont garde de s’enfermer dans une posture victimaire, et Hassan Ferhani comme Sofia Djama ont ainsi souligné la singularité des styles et des approches, la défiance envers les messages univoques.

    Sans pouvoir être d’un optimisme que vraiment rien ne justifie, ces jeunes femmes et ces jeunes hommes, ces jeunes films font montre d’une énergie, d’un humour, d’une poésie qui sont les meilleures promesses, pas seulement pour le cinéma.

    Jean-Michel FRODON
    first published in www.slate.fr

     

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